Quand le virtuel devient réel au Cnam… les univers immersifs et la réalité virtuelle font l’objet de nombreux discours dans le domaine de la formation. Pourtant le passage de l’intention à l’application est plus rare. C’est pourquoi le Living Lab a été très intéressé par l’expérience de Travaux Pratiques (TP) immersifs réalisés au Cnam dans le cadre de cours de chimie. Avec le soutien de la Direction Nationale des usages du Numérique (DN1), les enseignants chercheurs en chimie du Cnam ont embarqué virtuellement leurs apprenants dans leur laboratoire.
Rencontre avec Maité SYLLA, professeure des universités de l’équipe pédagogique national EPN7 et du laboratoire GBCM porteuse et responsable pédagogique du projet CAP’VR/Geste’ VR et, Christian COUSQUER, ingénieur pédagogique à la DN1, spécialiste en réalité virtuelle, en accessibilité numérique et en développement Web, chef de projet technique du projet Geste’ VR.
Living Lab Sofa : comment est né ce projet de TP immersif ?
Maité : L’appel à projet pédagogique interne au Cnam en 2020 a été le déclencheur. Nous avions une équipe d’enseignants qui ne travaillaient pas forcément ensemble. Le projet s’est construit donc petit à petit avec différents partenaires. Tout d’abord une visite dans les locaux de l’Immersive Learning Lab, nous a permis de mieux comprendre ce qu’il était possible de faire à l’aide de la réalité virtuelle. Ensuite la DN1 nous a mis en contact avec la société Mimbus, PME toulousaine spécialiste dans le développement de produits basés sur la simulation, pour la formation aux métiers manuels industriels. La recherche des financements complémentaires a été essentielle. C’est vraiment un projet fédératif où chaque partie joue un rôle clé dans un tel développement.
Living Lab Sofa : qu’est-ce qu’un TP immersif ?
Christian : il faut différencier le TP virtuel du TP immersif. Le TP virtuel, ça peut être de l’animation 3D sur un écran. Le TP immersif se fait avec un casque de réalité virtuelle. Le casque permet de créer la sensation d’être transporté dans un autre monde. Il offre une expérience beaucoup plus viscérale que les autres médias traditionnels parce qu’il exploite la mémoire spatiale de l’utilisateur. Dans de nombreux cas, cela sert d’amplificateur émotionnel. Cela facilite la mémorisation de l’expérience. On dit : « j’ai vécu une expérience immersive », mais on ne dit pas : « j’ai vécu une vidéo pédagogique ».
Living Lab Sofa : pourquoi avoir eu recours à la réalité virtuelle dans ce TP immersif ?
Maité : au Cnam, nous avons un public d’apprenants hétérogène avec une grande diversité de niveaux, de compétences, et cela nous oblige à adapter nos enseignements en permanence et à chercher des modalités innovantes pour les engager. Nous avions aussi une équipe d’enseignants chercheurs très motivée pour l’innovation pédagogique, c’est très important pour ce type de projet. De plus, le temps dédié aux travaux pratiques est de plus en plus limité. Dans un temps très court nous devons transmettre aux élèves beaucoup de compétences techniques. Et enfin nous avions le soutien de l’établissement, car l’innovation est un axe très important du Cnam, et notamment de la DN1, qui nous a accompagné dans le développement des TP immersifs.
Living Lab Sofa : concrètement, à quoi ressemble ce TP immersif ?
Maité : dans le cadre du TP immersif, l’apprenant se retrouve à l’intérieur d’un environnement virtuel, en l’occurrence un laboratoire de chimie, créé pour apprendre des gestes techniques en toute sécurité. Jusqu’à présent, nous avons développé plusieurs modules autour de la sécurité au laboratoire :
- un module de visite de laboratoire, pour faire connaissance avec cet environnement et se familiariser avec l’utilisation des équipements de protection individuelles (EPI),
- un module pour apprendre à identifier et caractériser les équipements de protection collectives (EPC),
- Trois modules de sécurité comprenant des exercices de mises en situation sur le danger de coupure, le danger de projection et le danger d’inhalation. L’apprenant est mis face à un danger, et on interroge la manière dont il doit réagir face à ce danger. Evidemment on ne pourrait pas faire cela au laboratoire car on ne peut dans le réel exposer un élève à un produit toxique, ni casser un bécher et lui faire une projection d’un produit chimique dans les yeux !
Living Lab Sofa : quand et comment utiliser ces TP immersifs ?
Christian : ils n’ont pas vocation à remplacer les TP classiques, mais ils permettent de les optimiser. Ils peuvent être positionnés :
- en amont, par exemple pour découvrir des procédures et prendre connaissance de l’environnement d’un laboratoire de chimie avant de réaliser les travaux pratiques en réel avant d’y aller ;
- en renforcement du TP, pour apporter des connaissances complémentaires,
- en évaluation, car la plate-forme de traces d’apprentissages Vulcan reliée au dispositif immersif permet de suivre les parcours des apprenants et, par exemple, d’évaluer s’ils ont réussi tel ou tel geste.
Living Lab Sofa : quels sont les avantages de ce dispositif pédagogique ?
Maité : ce dispositif pédagogique permet d’aller plus loin dans l’apprentissage. C’est particulièrement pertinent pour l’apprentissage des gestes professionnels en toute sécurité. Cela favorise l’engagement, la mémorisation des apprenants et procure du plaisir d’apprendre autrement. Par ailleurs, la modélisation permettra de manipuler des technologies et des machines qu’il est difficile de mettre à la disposition des élèves, mais qu’ils peuvent retrouver plus tard dans leur environnement de travail. C’est donc un véritable gain de temps et d’espace.
Nous avons commencé à évaluer les premiers modules en novembre dernier. Nous n’avons pas encore assez de recul pour évaluer correctement une expérience utilisateur, toutefois, les premiers retours des élèves sont très prometteurs car ils apprécient l’expérience d’un « TP immersif ». Ces nouveaux supports pédagogiques vont contribuer à l’approfondissement des compétences de nos élèves, de façon plus autonome et personnalisée.
Nous travaillons maintenant à leur déploiement auprès de nos apprenants.
Christian : oui, l’aspect gamification, ludification est très important. Apprendre en s’amusant, en se faisant plaisir, et en sécurité. On peut faire en réalité virtuelle des choses qu’on ne peut pas faire dans la réalité. On est dans l’expérience vécue.
Living Lab Sofa : quels sont les points de vigilance pour développer ce type de dispositif pédagogique ?
Maité : pour mettre en place ces modules, il faut déjà acculturer les enseignants à la réalité virtuelle. Il faut découvrir la technique, l’environnement, le matériel… pour qu’ils se sentent à l’aise.
Christian : oui, il ne faut pas négliger les aspects logistiques de déploiement de ces TP. On ne laisse jamais seul un étudiant avec un casque, il faut l’accompagner au début dans la prise en main. L’acculturation est aussi à faire auprès des étudiants.
Living Lab Sofa : recommanderiez-vous ce type de dispositif à d’autres enseignants ?
Maité : introduire ce type de dispositif enrichit nos pratiques pédagogiques, augmente l’impact de nos enseignements, change la façon dont on transmet le savoir. Cela donne un autre plaisir de transmettre. Les interactions entre les équipes pédagogiques concernées sont différentes. Cela décloisonne les disciplines et favorise la mutualisation des connaissances. Je conseille aux enseignants de se faire accompagner par les équipes d’ingénieurs pédagogiques pour bien scénariser leurs cours et appréhender ce nouveau medium.
Living Lab Sofa : dans quels autres domaines peut-on utiliser la réalité virtuelle immersive ?
Christian : la réalité virtuelle immersive est utilisée dans plusieurs domaines : pour l’apprentissage de gestes métiers bien sûr, par exemple dans les sciences de l’ingénieur, en médecine, en géologie, mais également dans les sciences humaines et sociales. Par exemple, dans le domaine du management, la réalité virtuelle immersive est utilisée avec des simulations d’entretien et pour l’apprentissage des softs skills, notamment dans les enseignements qui utilisent les jeux de rôle.
Living Lab Sofa : d’autres projets avec la Réalité Virtuelle ?
Christian : nous travaillons maintenant sur les jumeaux numériques immersifs dans le cadre du projet JENII. Nous allons utiliser des informations du monde réel qui permettrons de mettre en place des simulations immersives des appareils tels qu’un bioréacteur, une aile d’avion ou une voiture électrique. Un module immersif concernant le démantèlement d’une centrale nucléaire est également en cours de développement.
Aussi, avec la plateforme de traces d’apprentissages Vulcan, on va pouvoir faire des parcours pédagogiques personnalisés, comme un jeu de lego, les étudiants pourront suivre les modules en fonction de leur besoin et de leur niveau.