L’évaluation de ces nouveaux dispositifs a été pensée dès leur démarrage (septembre 2023). Premièrement, nous souhaitions interroger la compréhension, le sens et l’intérêt que pouvaient porter nos élèves sur cette nouvelle forme de reconnaissance et sur le fait de les engager sur les questions de transitions écologiques. Deuxièmement, et pour répondre à nos hypothèses de départ, nous souhaitions évaluer si l’apport de preuve pour l’obtention d’un badge, ou si la co-construction d’un open badge, participait à une forme d’apprentissage en favorisant la réflexivité. Enfin, en vérifiant les productions finales, nous pourrions évaluer le niveau de persévérance des apprenants, et si la reconnaissance par open badge permettait une forme de différenciation entre eux. Les open badges permettaient-ils de valoriser une réalisation, une compétence ou une posture singulière, sans que cela passe par une note, comme dans le cadre d’un enseignement classique.
Pour les licences, les 4 premiers ateliers du dispositif ont été réalisés auprès des 5 promotions concernées (le panel se constituait de 100 élèves). Les ateliers ont été animés par les responsables de formation eux-mêmes, ils disposaient des contenus et du déroulé de l’atelier.
A part l’atelier 2 (sur les transitions), chacun des ateliers a été évalué par un questionnaire. Puis 2 focus groupes ont également été réalisés.
Un démarrage encourageant
Lors du 1er atelier, la stratégie de différencier la logique du diplôme (avec son référentiel) et l’open badge a tenu ses promesses : il a permis à une large majorité des apprenants de comprendre la logique de reconnaissance ouverte.
La démarche et le dispositif font également sens pour les responsables de formation et leur discours a permis une forme d’appropriation de cette logique de se reconnaître soi-même ou en groupe, une expertise singulière.
Une majorité donne du sens au travail demandé, mais des questions demeurent pour une moitié quant à la reconnaissance de ce travail.
Nous ne nous sommes pas trompés en travaillant sur les enjeux climatiques, ils y voient un intérêt à 75% et sont 85% à approuver le fait de questionner leur métier de RH de demain.
Ils ne sont que 60% à voir un intérêt à se reconnaître ce travail spécifique, ce qui est en corrélation avec le fait que seule la moitié exprime un intérêt pour le projet proposé.
Nous supposons, après 3 mois de formation, que tout ce qui peut être proposé en plus des enseignements classiques peut être vécu comme une charge et non une opportunité.
En février 2024 : fort intérêt vs forte défiance – des résultats très hétérogènes
En février 2024, les alternants sont revenus sur le travail engagé, avec une analyse de leurs apprentissages, et ils ont commencé à imaginer ce qu’ils auraient à se reconnaître.
En moyenne, le retour des alternants ne semble pas beaucoup évoluer par rapport à novembre 2023. En effet, ils sont 78% à toujours montrer un intérêt à travailler sur les enjeux climatiques et 63 % à voir un intérêt à se reconnaître des connaissances et compétences spécifiques. Mais en regardant de plus près, les résultats sont extrêmement hétérogènes en fonction des promotions.
Prenons un exemple sur leurs intérêts s’agissant de se reconnaître des compétences spécifiques :
Alors qu’à La Roche-sur-Yon, ils sont 100% à ne pas y voir d’intérêt (promo de 10 élèves), ils sont 75% à y voir un intérêt à Nantes, au Mans et à Laval ; presque 1/3 à Nantes ont jugé cela “très intéressant”.
Dynamique de groupe et posture professionnelle sont à l’œuvre
Nous avons pu réaliser 2 focus groupe auprès des élèves de Nantes et de La Roche-sur-Yon au mois de mars 2024. Cette forme d’évaluation plus qualitative, a permis d’apporter un éclairage sur l’hétérogénéité des retours.
Premièrement, le rôle et le discours du responsable de formation sont primordiaux. C’est lui qui engage et donne du sens. La difficulté qu’ils ont rencontrée c’est que quel que soit le groupe, une partie des élèves (environ 1/3 sauf à La Roche-sur-Yon 2/3) questionnait “la valeur” de l’open badge. Le fait qu’un travail ne soit pas valorisé par une note ne fait pas sens. Pourquoi ce travail n’est pas intégré à l’enseignement classique ? Pourquoi n’est-il pas noté ? Et pourquoi il ne participe pas de l’obtention du diplôme ?
Ces questions ont leur raison d’être. Une année d’alternance est chronophage et demande de l’investissement or la motivation première des élèves dans nos dispositifs de formation reste extrinsèque : “obtenir le diplôme”.
Deux facteurs ont ici joué et explique cette hétérogénéité de positionnement. A La Roche-sur-Yon, le groupe était petit (10 élèves) et les 2/3 ont montré cette posture “scolaire”. Malgré l’engagement de leur responsable de formation dans la démarche, une dynamique de groupe négative a grandi et s’est renforcée au fil du temps. A Nantes, c’est l’inverse. Dans un groupe plus important (28 élèves), une majorité a accepté l’idée de cette nouvelle forme de reconnaissance : elle était renforcée en permanence par leur responsable de formation qui leur demandait d’avoir une posture professionnelle, de “faire confiance et de ne pas s’engouffrer dans une critique permanente et stérile” (ce sont ces mots). Mais ce responsable insiste : “j’ai porté un discours, j’ai insisté, mais la dynamique était là, c’est elle qui prime, je ne suis pas certain que ça marche avec tous les groupes”.
Nos hypothèses de départ étaient que la reconnaissance par open badge motiverait les élèves à se reconnaître leur compétence transverse, à les faire valoir auprès des entreprises et participeraient de leur employabilité. Si nous parlons plus facilement de “posture professionnelle” aujourd’hui, nous constatons finalement que la logique de reconnaissance par open badge proposée a plutôt révélé et renforcé des postures et des croyances déjà là. La nouvelle question serait alors, comment engager les postures dites trop scolaires à se transformer ? Une des hypothèses est qu’il faut rendre visible un écosystème de badge existant, des usages existants, pour faciliter cette transformation.
Ça peut marcher !
Pour rappel, les élèves de licence avaient un triple objectif en avril 2024. Ils devaient, en sous-groupe, présenter leurs projets ou plan d’actions, présenter une analyse de leur travail de groupe afin d’obtenir le badge construit par le Cnam et intitulé “apprendre et travailler en mode collaboratif” et enfin présenter ce qu’eux-mêmes se reconnaissent avoir appris de ce travail en présentant leur propre open badge.
Evidemment 100% des élèves n’ont pas obtenu le badge du Cnam et 100% n’ont pas créé leur propre badge.
A Saint-Nazaire, 4 groupes ont présenté leur travail. 1 seul groupe a réalisé une analyse pertinente pour obtenir le badge “apprendre et travailler en mode collaboratif” et 2 groupes ont présenté la matrice d’un open badge du groupe mais ils n’ont pas finalisé sa création.
C’est relativement identique à Laval et au Mans. Les groupes ont joué le jeu. Sur le Mans, la responsable de formation a d’ailleurs validé le badge “apprendre et travailler en mode collaboratif” pour 80% de la promo, mais aucun des groupes n’est allé au bout de la démarche de création de leur propre badge.
A, Nantes néanmoins, 2 groupes ont, en plus d’avoir obtenu le badge “apprendre et travailler en mode collaboratif”, créé leur propre open badge qui venait spécifier toutes les compétences qu’ils avaient mobilisées et développées pour mener leur projet à terme. Vous retrouvez d’ailleurs le témoignage de ces élèves dans le podcast suivant.