Né d’une fantaisie de laboratoire, d’un calculateur balistique, distribué dans l’ombre des salles d’arcade avant d’envahir les salons, le jeu vidéo a poussé comme une mauvaise herbe sur le terrain des loisirs numériques : inutile, insignifiant, sulfureux et ignoré, pointé du doigt au moindre fait divers impliquant un adolescent adepte des shoot’em up, il lui aura fallu plus de cinq décennies pour sortir de l’underground. Économiquement d’abord – l’industrie du jeu vidéo dépasse le chiffre d’affaires du cinéma et pèse des milliards. Socialement ensuite – le serious game ou jeu sérieux forme les écoliers comme les militaires américains, assiste les pilotes et les chirurgiens. Culturellement enfin – il s’est infiltré partout, du cinéma à la musique, envahissant nos téléphones, réinventant les outils de contrôle, l’art et les usages.
Comme la photo, la radio, le cinéma et la télévision, le jeu vidéo est d’abord un média. Lui est né de l’ordinateur : son histoire, liée à l’évolution des technologies, est jalonnée par l’apparition de nouvelles consoles, toujours plus puissantes. Aujourd’hui, du mini-jeu sur smartphone à la superproduction d’un « triple A » à plusieurs centaines de millions d’euros, sa diversification est immense, à l’image de sa démocratisation. Pratique culturelle majeure (1h53 par jour en France en 2013), le jeu est désormais une culture à part entière. En témoignent l’insolente santé du jeu indé et des formats hybrides, alimentant sa créativité comme le cinéma indépendant travaille les blockbusters de Hollywood.
Sous un ciel de vidéoprojecteurs, le Cnam Pays de la Loire et le lieu unique invitent à l’été 2015 à rejouer l’histoire du jeu vidéo avec Ultima, une exposition multimédia, interactive, évolutive et expérimentale qui présente une collection de plus d’une centaine de consoles, des plus mythiques aux plus éphémères, des interviews d’acteurs majeurs de l’industrie (Peter Molyneux, David Cage, Hideo Kojima, Bruno Bonnell, Philippe Ulrich, Frédéric Raynal, Anthony Roux), mais aussi d’historiens et théoriciens (Sophie Pène, Nicolas Nova, Milad Doueihi), de critiques et spécialistes des game studies (Gonzalo Frasca, Stéphane Natkin, Isabelle Arvers, Paola Antonelli, Thierry Perreau) ou d’artistes (Invader, Douglas Edric Stanley) qui ont détourné et se sont appropriés le langage des jeux vidéo.
Ultima n’est pas la salle de jeu de l’été à l’usine LU ! À travers un panorama de médias (papier, écran, vidéo, application interactive, frise chronologique augmentée), Ultima rafraîchit ses écrans tous les quarts d’heure pour proposer une nouvelle thématique, à base de jeux jouables, d’ingames, ou d’extraits vidéo. Comme le ferait un VJ spécialisé dans l’histoire et l’actualité du jeu vidéo.
Le parcours du visiteur est résolument éclaté en thématiques, comme autant de chapitres qui traversent l’histoire du média. La violence dans les jeux vidéo, la science-fiction, la politique ou encore l’économie sont ainsi abordées à partir des jeux eux-mêmes. De l’apparition de Pong jusqu’aux dernières créations avec lunettes de réalité virtuelle, de l’histoire du hardware à celle des formes et des gameplays, Ultima est l’exposition ultime sur le jeu vidéo, la dernière à balayer l’histoire du secteur, des origines à nos jours : sa culture, ses codes, son avenir, ses consoles mythiques, ses jeux cultes et ses personnages célèbres…
Ultima est une exposition orchestrée par l’artiste Pierre Giner (pionnier des expositions «vidéoludiques»), avec le média des cultures hacktives Poptronics et le studio graphique Trafik.
La même fine équipe avait signé en 2010 Museogames, première exposition jouable dans une institution culturelle française, au musée des arts et métiers du Cnam, à Paris.