(Ce billet de blog a été écrit par un humain)
Il est au cœur de toutes les conversations chez les enseignants comme chez les élèves : ChatGPT ! Cet agent conversationnel, basé sur une intelligence artificielle (IA), ne cesse de voir le nombre de ses utilisateurs croître depuis sa mise en ligne en novembre 2022. Utilisant des milliards de données sur Internet, il peut écrire sur n’importe quel sujet, avec une cohérence très proche de celle de l’être humain. A tel point qu’il est parfois difficile de distinguer un texte écrit par ce robot d’un texte écrit par un humain. Ce qui inquiète l’enseignant lorsqu’il corrige ses élèves… Et si on en faisait un atout pour les apprenants et pour les enseignants plutôt qu’un ennemi ?
Le Living Lab Sofa du Cnam s’est entretenu avec Xavier Aimé enseignant dans le master MéDAS (Méga Données et Analyse Sociale) au Cnam. Dans ce premier épisode, ce dernier porte un point de vue original sur les usages en lien avec cette application. Dans un second épisode à venir, il nous propose un retour d’expérience sur comment il l’utilise dans ses cours.
Le Living Lab Sofa : pourquoi parle-t-on autant de ChatGPT dans la communauté pédagogique ?
Xavier Aimé : d’abord parce que cette application est une véritable révolution, non pas technique – les modèles de langage ont plus de 100 ans, les réseaux de neurones plus de 50 ans – mais d’usage tout comme l’ont été Internet, le micro-ordinateur ou le smartphone en leur temps. En quelques clics, ChatGPT est capable d’écrire un plan de cours, un cours avec son minutage, une dissertation, un sujet d’évaluation avec son corrigé à votre place… Et ce n’est qu’un début. Les usages de l’IA générative, que ce soit pour du texte ou de l’image, ne vont cesser de croître et de nous étonner. Ce robot conversationnel est capable de « comprendre » notre requête et de générer une réponse avec un langage assez similaire à celui d’un être humain relativement bien cultivé. Au-delà même de chatGPT, les IA génératives vont véritablement bouleverser le quotidien des enseignants et des élèves. Elles vont forcément modifier les manières d’enseigner, d’apprendre, d’évaluer…
Le Living Lab Sofa : quel est le risque pour l’enseignant ?
Xavier Aimé : si nos élèves considèrent que pour décrocher un travail, il faut un diplôme et que pour avoir un diplôme il faut avoir de bonnes notes à tout prix, alors le premier risque est bien évidemment la triche. On dépasse ici de très loin la fameuse « gratte » dans la trousse ou dans la calculatrice. Nombre d’étudiants ont bien compris que ChatGPT pouvait les aider à rédiger des dissertations comme des mémoires, trouver des réponses à des quizz, faire des synthèses de données, générer du code informatique dans le langage de leur choix, etc. Il faut noter que pour l’enseignant, la question dépasse le cadre de la triche. Dans le cadre de mon master, 100% de mes élèves utilisent ChatGPT aussi bien en formation que dans leur pratique en entreprise. Forcément, cela désacralise le statut de l’enseignant, seul détenteur du savoir. Certains de mes collègues dans d’autres écoles sont d’ailleurs inquiets, se sentent menacés et aspirent à l’interdire. J’ai pour ma part un point de vue un peu différent. Je fais mienne la tribune de cette étudiante de Sciences-Po : « Au lieu de nous l’interdire, on ferait mieux de nous apprendre à s’en servir ». Car, oui, je pense que tout est là, tout est question d’éducation. Comme pour tout, il y a d’abord une phase de découverte et une phase d’apprentissage. Même si cette intelligence artificielle est relativement puissante et est appelée forcément à s’améliorer, nous devons garder notre esprit critique. Exactement comme nous le faisons quand nous écoutons ou nous lisons les propos d’un autre être humain. Cela ne change rien si ce n’est que cet autre est infiniment plus cultivé et a amassé une quantité phénoménale d’informations.
Il y a plus de 200 ans, mes très illustres collègues du CNAM démontaient toutes ces nouvelles machines qui occupent aujourd’hui nos musées mais qui, pour l’époque, étaient tout aussi révolutionnaires que l’est aujourd’hui chatGPT. L’objectif était d’éclairer les esprits par la connaissance, de réduire les peurs, d’apprivoiser les nouveautés en les comprenant jusque dans leurs moindres détails. C’est cet esprit qui m’anime.
Le Living Lab Sofa : comment les enseignants peuvent-ils l’utiliser ?
Xavier Aimé : d’abord pour préparer leurs séances de cours. ChatGPT permet de spécifier les niveaux et objectifs d’un cours, il suffit de lui demander. Voici quelques exemples issus du guide de l’enseignant : L’usage de ChatGPT « ce qui marche le mieux » : « Créez un plan de cours pour une classe de [niveau d’aptitude de l’élève] qui couvre [le concept enseigné] et comprend une variété d’activités et d’évaluations ». On peut également lui demander de créer des quizz par exemple : « Générer 5 questions à choix multiple pour évaluer la compréhension des élèves sur [le concept enseigné] ». Ou encore une grille d’évaluation que les élèves pourront utiliser pour évaluer eux-mêmes leur travail : « Créez une série de questions que les élèves peuvent utiliser pour réfléchir à leur performance en [matière] sur la base des critères de soumission et de notation suivants et identifiez ». On pourrait aussi lui demander de créer une histoire immersive de type « vous êtes le héros » pour présenter des contenus, mais je ne l’ai pas encore testé.
Le Living Lab Sofa : et les apprenants, comment leur en parler ?
Xavier Aimé : Pour ma part, je ne peux que les encourager à utiliser cet outil, non pas pour se reposer, pour ne plus apprendre ou pour juste avoir une bonne note, mais pour devenir meilleur. L’essentiel est qu’ils s’en servent pour apprendre de nouvelles choses, pour découvrir de nouvelles pistes, pour utiliser ce temps gagné à faire des choses de plus grande valeur ajoutée. Le plus important est qu’ils gardent toujours un œil critique et c’est notre rôle de les accompagner dans ce sens. Cet outil reste encore un commercial bien cultivé qui baratine. Sans être un malade mental, il peut parfois avoir de belles hallucinations et les leur faire avaler de belle manière. Heureusement il ne prend pas le volant, mais ce sont eux qui le tiennent alors qu’il leur sert de GPS. C’est la joie des IA génératives, la réalité de synthèse n’est affaire que de probabilité pas de vérité.
Le Living Lab Sofa : quelles sont les précautions d’usage à donner aux apprenants ?
Xavier Aimé : les alerter sur le fait que, pour l’instant, ChatGPT ne cite pas ses sources, et surtout fait encore des erreurs, c’est un problème dans l’apprentissage. Et il ne s’appuie que sur des données collectées jusqu’en 2021. Toute la clé de la réussite est dans la qualité de la question posée. On peut les inviter à aller faire des recherches avec ChatGPT, en leur apprenant à bien formuler leur demande, d’autant qu’il offre la possibilité de s’adapter. Il est nécessaire de croiser les informations produites à d’autres sources. On peut par exemple demander aux élèves d’effectuer des recherches pour déterminer si le contenu de l’I.A est exact et écrire une justification avec les liens. Car qu’on le veuille ou non, il faudra composer avec ces intelligences artificielles dans le futur. Il est donc souhaitable d’entrainer les élèves à comprendre et utiliser l’outil et développer leur esprit critique.
Le Living Lab Sofa : et concernant la triche, comment savoir si un élève a utilisé ChatGPT ?
Xavier Aimé : J’aurai envie de dire que s’il reste des fautes d’orthographe dans un devoir, c’est bien un étudiant qui l’a écrit ! (rires).
Vous pouvez lire l’épisode n°2 en cliquant ici.